Depuis que j'ai commencé à écrire des sketchs, j'ai essayé de prendre du recul pour saisir la mécanique du rire. Pourquoi tel texte va faire hurler de rire (presque) tout le monde alors que tel autre va connaître un bide retentissant.
Il n'existe pas de recette miracle. Un simple "prout" peut faire hurler de rire certains enfants et aussi beaucoup d'adultes, et en consterner quantité d'autres. De la même façon, une vanne dans laquelle on se moque de l'accent d'un personnage appelé Mamadou continuera à faire rire certaines personnes, et à en indigner d'autres. Ça passait tranquille il y a quarante ans parce que les moqués n'avaient pas voix au chapitre.
Je ne crois pas que Coluche ou les Inconnus feraient les mêmes sketchs aujourd'hui, ou alors ils connaîtraient un succès nettement moindre. Parce que l'humour est en grande partie question de contexte.
La fameuse blague "Qu'est-ce qui sépare l'homme du singe? La méditerranée!", si vous la racontez, premier degré, en Algérie, vous aurez beaucoup moins l'impression d'être un génie de l'humour que si vous la racontez lors d'un meeting de Zemmour.
Mais il y aura toujours des OSS 117 pour soutenir qu'on peut rire de tout, que c'est juste un rôle, que c'est pas méchant et appeler à censurer les censeurs.
De la même façon, balancer une vanne pendant un mariage n'aura pas le même effet que la même vanne prononcée de la même façon pendant un enterrement.
Les blagues Carambar ne sont drôles que quand on les partage avec des amis qui ont envie de rire, vous avez remarqué? Si vous les lisez seul, en général, elles auront déjà bien de la peine à vous arracher un sourire. Par contre, si vous la lisez à une personne de bonne humeur en la ponctuant d'un rire communicatif et crédible, même forcé, vous pouvez déclencher un interminable fou rire avec une vanne pourtant très médiocre.
C'est très compliqué de faire rire avec juste un texte.
Ça l'est un peu moins avec une personne qui lit en audio, mais ça reste très compliqué, parce qu'il faut que la voix soit drôle, bien jouée avec une tonalité particulière.
Les humoristes, quand ils passent à la radio, sont souvent accompagnés d'animateurs payés pour rire de façon bruyante aux sketchs. Imaginez Paul Mirabel lire ses textes seul. Il resterait drôle, mais serait nettement moins efficace. Avec la vidéo et sa tête de chien battu, ça aide, mais pas autant que d'avoir des complices qui explosent de rire. Surtout s'ils ont un rire aussi contagieux que ceux de Dominique Farrugia ou feu Thierry Roland.
C'est pour cette même raison que les sitcoms telles que Friends ou Une Nounou d'enfer bénéficient de rires en boîte. On pourrait se dire que c'est tellement drôle qu'elles n'en ont pas besoin, sauf que ça aide beaucoup.
Il existe d'ailleurs une pratique connue depuis l'antiquité qu'on appelle "la claque". Elle consiste à assister à un spectacle et à rire ou applaudir aussi fort que possible, selon la situation, même si on n'en a pas envie pour inciter le reste du public à faire de même, ou donner l'impression d'un succès. Ou, à l'inverse, si on veut plomber un rival, on peut aussi venir à plusieurs pour huer les comédiens, même si le spectacle est bon.
Par exemple, imaginez un spectacle de théâtre amateur, comique, qui doit durer trois heures. C'est déjà long, pour un tel spectacle. Les professionnels, y compris au cinéma, excèdent rarement les deux heures, parce qu'au-delà, le spectateur fatigue. Imaginez qu'en plus le spectacle a pris deux heures de retard, mais les gens sont bien obligés de rester pour récupérer leurs enfants, leurs proches qu'ils sont venus voir. Parce que, bien sûr, ils ne viennent pas pour la prestation. Scénario catastrophe, j'en ai bien conscience, j'exagère volontairement le trait. Au début, les gens rient et puis, au bout de deux heures, ils en ont marre, ils ne pensent plus qu'à rentrer chez eux, qu'à voir ce calvaire se terminer.
Hé bien à ce moment, il n'est pas inutile pour les gens de l'association de se mêler au public, dans le noir, et de rire très fort à chaque vanne des comédiens pour essayer d'entraîner deux ou trois personnes avec eux, et, surtout, pour faire croire aux comédiens qu'ils ne sont pas en train de faire un bide total.
Ce qui pourrait s'avérer traumatisant.
Voilà pourquoi je n'arrive pas à me satisfaire de mes sketchs. Je n'ai pas le talent pour faire rire simplement avec ma timide voix, je suis trop complexée pour tenter la vidéo. Dans l'idéal, il me faudrait des complices, pour rire à mes vannes et entraîner le public. Dans ce contexte, les rires en boîte ne me semblent pas une bonne idée.
Bref, le podcast aura été une bonne expérience, mais je n'ai pas les moyens de mes ambitions, pour le moment. Si ma situation évolue, je pourrais y revenir mais je préfère consacrer mon énergie à la pure écriture.
Par contre, si d'autres veulent mettre en son et éventuellement en images mes textes, j'en serais ravie.
D'ailleurs, j'en connais une dont j'attends des nouvelles...