samedi 3 octobre 2020

Que vais-je écrire ensuite?

 Je n'ai pas encore totalement terminé Les Métamorphoses que je commence déjà sérieusement à préparer le terrain pour la suite. J'ai plusieurs projets, qui peuvent se mêler les uns aux autres, et c'est tout le problème.

Au départ, mon idée était de partir sur un recueil de nouvelles inspirées de mon travail. Simple, assez rapide, je comptais intituler ça Hypervigilance. Sauf que la simplicité et moi... Alors j'ai eu l'idée de clarifier le lien entre le titre et les nouvelles angoissantes, en les reliant à un unique personnage, qui pourrait être Marc Anciel, mon vieux camarade de route. Ou un autre, forcément inspiré par moi... Mais évoquer ainsi mon hypervigilance, sans évoquer ma transidentité... Non pas qu'il y ait un lien, bien sûr, mais je comptais justement reprendre le personnage de Marc Anciel pour évoquer, ensemble, ces deux aspects. Mes plans éclatent. Et ce n'est pas forcément désagréable.

Dans le même temps, l'écriture des Métamorphoses m'a donné envie de créer une femme transgenre qui serait violemment féministe. Formée par ma sorcière, traumatisée par la vie, elle oeuvrerait comme une super-héroïne dans les rues de Douchain, la ville à la fois corrompue et maudite de mon actuel roman. Avec en parallèle, un lieutenant de police fraîchement débarqué qui enquêterait sur ce que la société verrait comme des méfaits.

Est-ce qu'au final, je ne pourrais pas mélanger Hypervigilance et ce projet qui n'a pour le moment aucun titre? Le problème étant que si j'essaie de faire trop compliqué, je risque de me casser la gueule, et si je fais trop simple, je vais fatalement me faire bouffer par l'envie de faire compliqué, ce qui va m'amener à... me casser la gueule.

Et il faut aussi garder en tête que si je pars sur un projet d'au moins 400 pages, ça va me prendre des années sans la moindre garantie que tout ce boulot ne finira pas, encore, au fin fond de mon disque dur.

samedi 6 juin 2020

Racisme et privilèges

Les Etats-Unis et la France s'enflamment, de nouveau, contre le racisme, systémique, qui gangrène, notamment les forces de l'ordre. Parce que oui, en 2020, le racisme existe toujours et il semble même prendre de l'ampleur. Avec la complicité de certains médias qui prennent plaisir à s'étonner de ce phénomène tout en invitant, voire en offrant un salaire, à ceux qui propagent cette absurde haine.

Le racisme, je l'ai vécu, de façon indirecte, une bonne partie de ma vie. Quand j'étais enfant, ce n'était qu'un très vague concept. Sos Racisme venait d'être créé, je me souviens encore des autocollants "Touche pas à mon pote" sur les murs de mon école ou dans Pif Gadget. Je ne comprenais pas. Ca me semblait évident. Dans mon école, on était mélangés et je ne faisais pas la différence. Je ne voyais que des humains.
C'est au collège que j'ai commencé à comprendre. Parce que là, on était bien moins mélangés. Je me suis retrouvée dans une classe où l'un de mes camarades se faisait surnommer "bic*t", et ça ne semblait pas le déranger. Tout le monde trouvait ça naturel. Pourquoi pas? Je m'en prenais plein la gue*le, parce que j'étais "bizarre", "faible", pauvre, mal habillée... Le collège, quoi. Ca m'a rapprochée d'un autre gamin, qui s'en prenait lui aussi plein la tête, parce que d'origine algérienne. Comme moi, il avait vécu dans une ville métissée et découvrait à peine le racisme. Les plus sympas l'appelaient "tache d'huile" ou "Chocapic", pour le "taquiner", et ça ne semblait pas lui poser de problème. Alors moi non plus. Mais quand même. Je ne citerai pas les moins sympas. C'était aussi l'époque des skinheads. Quand il croisait une croix gammée sur un mur ou sur le sol, il prenait une craie et en faisait une petite maison.
On est vite devenus inséparables. Au point qu'on nous traitait de pds. Ce qui le mettait hors de lui, mais c'est une autre histoire.
Avec le temps, notre entourage semblait évoluer. Ils voyaient bien qu'il ne correspondait pas du tout aux clichés pourris dont on affuble les gens de son origine. On ne se rendait pas encore compte qu'ils le considéraient comme une exception. Par contre, la gendarmerie...

C'est ce qui m'a le plus choquée. Parmi nos bandes d'amis (parce qu'il y en avait plusieurs), on était les plus sages, et de loin. On avait pour principe de ne jamais humilier nos parents en amenant les gendarmes chez nous. D'autres picolaient, se droguaient, dealaient, commettaient des dégradations, des violences, des vols... Mais non. Qu'il se balade seul, avec moi ou avec une vingtaine d'autres, c'était lui qu'on contrôlait. Systématiquement. Dès qu'on croisait un fourgon, on savait qu'il y aurait droit. Et pas moi. Jamais. Il pouvait se faire contrôler jusqu'à cinq fois par jour. Alors qu'à force, ils le connaissaient et savaient tous parfaitement qu'il n'avait rien à se reprocher. Quoi de plus humiliant que de se faire systématiquement contrôler alors que ses amis, certains délinquants, ne les intéressaient même pas? J'ai dû me servir de mes quasi full privilèges pour... le calmer. Je lui rappelais que leur but était justement de le pousser à la faute, à l'outrage, à la menace, à la violence.
Je ne parle pas d'une période de quelques mois. Je ne parle pas d'un ou deux militaires racistes. Je parle de plus d'une décennie et d'innombrables gendarmes qui se sont succédés. Ensuite? Il est parti à Paris et je l'ai perdu de vue. Je ne parle que de ce que j'ai vécu.

Comment ne pas avoir peur, ne pas haïr ces uniformes et le drapeau qui y figure après cette inhumaine série d'humiliations? Il n'est pas resté totalement droit. A force d'être traité de façon aussi systématique comme un délinquant... Néanmoins, il n'a jamais nui qu'à lui-même.

Une fois adulte, je l'ai vu se faire discriminer un nombre incalculable de fois. On a assez vite abandonné l'idée d'aller en boîte. On rentrait tous, même mal fringués, mais pas lui, même en costard. Chaque fois qu'on essayait, la soirée était foutue. On passait des heures à lui expliquer qu'on s'en foutait, que c'était pas grave, à le calmer. "Laisse tomber, qu'ils aillent au diable." C'est ça le privilège blanc: pouvoir dire ce genre de choses à ceux qui n'en bénéficient pas.

Je crois que le moment le plus douloureux pour lui, en termes de racisme, c'est lors d'une bagarre générale. Cette nuit-là, il a vu ses "amis" charger leurs adversaires en les traitant de "bougn**les". Il a compris que pour eux, il n'était qu'une "exception... qui confirme la règle". Je l'ai vu perdre ses nerfs. Puis, se méfier de plus en plus de tout le monde. Même ceux qu'il croyait être ses amis. L'averse qui fait déborder le vase. Aujourd'hui, il n'est plus que l'ombre de lui-même et je me demande à quel point toutes ces humiliations ont pu l'impacter. 
Il y a quelques années, il avait formulé le projet de partir vivre en Algérie, lui qui bénéficie de la double nationalité. Quelques séjours là-bas semblent l'avoir convaincu d'y renoncer: il ne se sent pas plus Algérien là-bas que Français ici, de ce que j'ai pu comprendre. Comment s'épanouir dans ce monde quand on ne peut se sentir à sa place nulle part?

Depuis quelques jours, j'en entends tous les jours dire que c'est une autre époque, que les choses ont bien changé, que dans la police ou la gendarmerie, il y a des procédures pour lutter contre le racisme, que ça reste des comportements exceptionnels. Les dernières révélations, en France, ont mis à mal ces arguments. Le discours commence à changer. On passe de "circulez, il n'y a rien à voir" à "Oui, bon peut-être qu'il y aurait des choses à faire mais c'est compliqué, il faut comprendre".

Non, rien n'a changé. Il y a eu de la communication, des effets de manche, mais même si j'ai perdu de vue mon ami, je le vois bien, que ça continue. Je l'entends. Je suis plutôt bien placée pour ça.

J'en souffre, de ce racisme, mais de manière indirecte, filtrée. Rien de comparable avec ce que vivent ceux et celles qui sont directement concernés. Je le vis plus comme une honte, un déshonneur, quelque chose que j'aimerais cacher, ne pas voir et surtout contre quoi je me sens impuissante.

Cette colère qui éclate aujourd'hui, encore, je ne l'ai jamais ressentie, pas de façon aussi intense, pas la même, forcément. Mais je l'ai beaucoup trop vue, déjà, dans ma vie. Aujourd'hui, je ne vais pas appeler au calme. Je ne vais pas vous dire, amis directement concernés, qu'ils cherchent à vous pousser à la faute. Vous le savez bien mieux que moi. Le calme ne fonctionne pas. J'ignore ce qui peut fonctionner. Ou peut-être que j'ai peur de le savoir. Je vous comprends. Je vous soutiens. Et j'espère.

jeudi 28 mai 2020

Twitter, un enfer inspirant?

Pour moi, Twitter s'apparente à une dystopie. Il n'a pas été conçu pour échanger véritablement, débattre, élaborer ou présenter des idées complexes, mais pour balancer des punchlines aussi assassines que vides de sens façon Zemmour ou Soral, en pire, mais avec toutes les variantes idéologiques possibles. Les "gazouillis" existent, mais ils passent globalement inaperçus. Les maîtres sont les "gros comptes", avec leurs milliers de followers prêts à écharper les impudents "petits comptes" moins doués niveau punchlines, et moins protégés par la masse. Mais il suffit d'un mot de travers, même proféré par les maîtres, pour se retrouver avec ses propres followers sur le dos. Même pas un mot de travers: un like, un retweet, suivre la "mauvaise personne", volontairement ou sans s'en rendre compte. Qu'importe? C'est terrifiant et fascinant. Imaginer cette réalité virtuelle dans la vraie réalité pourrait faire un très bon sujet pour un roman de science-fiction.

Personne ne devient grand grâce à Twitter. Personne. Même si on peut en avoir l'illusion. Par contre, il peut suffire d'un seul tweet pour foutre une réputation, une carrière voire une vie en l'air.

En bientôt trois ans de réelle activité sur ce compte, j'ai assisté à peu près tous les jours à des joutes virtuelles d'une violence inouïe. On pourrait penser qu'un réseau social permettrait d'unir les gens. Ce n'est absolument pas le cas. Les innombrables communautés ne cherchent pas ce qui pourrait les rassembler, mais systématiquement ce qui les sépare. La règle, c'est la provocation, la paranoïa, la chasse au traître, à celui qui ne pense pas totalement comme soi-même. Et le but, pour beaucoup, c'est de se faire mousser auprès de sa "communauté" en épinglant un maximum de "méchants" et en affichant au maximum combien on est "comme il faut". Surtout que personne n'est parfait. C'est une banalité affligeante, mais sur Twitter, la plupart des utilisateurs l'ignorent ou s'en fichent totalement. Il faut écraser vite et bien pour prouver qu'on mérite de rester dans son paradis artificiel. Horrifiant, mais aussi passionnant d'un point de vue de l'inspiration artistique (et sans doute d'un point de vue scientifique). Des personnages totalement improbables dans la réalité deviennent d'une banalité absolue sur ce réseau.

Bien sûr, il y a aussi ceux qui restent à l'écart, qui ignorent à peu près tout le monde, qui restent ancrés dans la réalité. Ils tweetent et ne se préoccupent que de ceux qu'ils connaissent en vrai, gardent de la distance, ne passent que quelques minutes par jour, grand max, sur ce réseau. C'est évidemment la meilleure attitude, celle qui vous évitera de finir en hôpital psychiatrique. D'un point de vue littéraire, observer, sans s'impliquer, jamais, est l'option à privilégier. Fermer sa g... au maximum, sauf pour balancer du contenu consensuel, vide, fondamentalement inutile. Le feu ça brûle. L'eau ça mouille. La guerre c'est nul. Et ignorer les provocations qui ne manqueront pas d'arriver, malgré tout.

Et aussi réserver les vraies discussions à la vraie réalité et aux vrais gens. Ou éventuellement à des espaces plus appropriés.

samedi 2 mai 2020

Non, une agression sexuelle n'est pas similaire à un viol

Attention: sujet délicat, douloureux et je vais devoir prendre des exemples qui peuvent provoquer des réactions très désagréables, en particulier chez les victimes.

Hier, sur Twitter, j'ai vu deux jeunes femmes soutenir mordicus qu'agression sexuelle et viol, c'est la même chose. Avec l'argument que pour la victime, le ressenti est le même, qu'on peut ne pas être traumatisé suite à un viol et inversement.
La frontière est floue, c'est vrai. Entre se faire toucher le sexe et se faire pénétrer digitalement, la différence, pour la victime, est négligeable. Pourtant dans le premier cas, c'est un délit, dans le second, un crime. Pourtant, elle existe, cette différence, cette frontière, et heureusement.

Je tiens à préciser que j'ai moi-même été victime de plusieurs agressions sexuelles et que dans le cadre de mon boulot, je vois et j'entends, depuis 8 ans, des dizaines, voire des centaines de victimes d'agressions sexuelles "simples" ou de viols, ainsi que leurs auteurs. C'est pourquoi cet argumentaire m'a un peu fait sortir de mes gonds. Comment on peut avoir l'indécence de dire à une victime de tournante, de Dutroux qu'elle est au même niveau qu'une personne qui va se prendre une main aux fesses par un gamin de 13 ans dans le métro? Pas moi. Jamais.
Comment on peut soutenir qu'entre un baiser de son compagnon, non consenti, et un viol par un prédateur armé d'un couteau dans un parc, on est incapable de choisir?
Comment on peut ainsi banaliser un acte que même les pires criminels condamnent?

Parce que oui mettre le viol au même niveau qu'une main aux fesses, c'est le banaliser. Ce n'est pas pour rien s'il y a beaucoup, beaucoup moins de violeurs que d'auteurs d'agressions sexuelles "simples". C'est parce qu'il y a cette frontière, aussi floue soit-elle, que peu (mais beaucoup trop quand même) osent franchir.

Oui, il y a le ressenti des victimes, qui doit avoir une grande importance dans le jugement, mais il y a aussi l'acte et la dangerosité de l'auteur. Un type qui colle une main aux fesses d'une femme dans le métro osera rarement aller plus loin, parce que dans sa tête comme dans celle de tout un chacun, il y a cette frontière. Quelqu'un qui est capable de foutre une femme à poil pour la violer, il n'a pas de limites, lui aussi il nie cette frontière et sa dangerosité est extrême. Ce qui n'est pas forcément le cas du gamin qui va le faire une fois dans sa vie, avec la tremblotte, et qui va se prendre une volée de bois vert en retour. Voilà pourquoi il est important de maintenir cette frontière entre le délit et le crime, et extrêmement dangereux de vouloir la supprimer. Un type qui est capable d'aller jusqu'au viol est évidemment plus dangereux que les autres agresseurs sexuels, même si la logique perverse est la même, même si le ressenti de la victime peut varier.

Oui, il y a une gradation. Dans mon cas, je considère sans le moindre doute que la première agression que j'ai subi est bien plus grave que celle qui a suivi, parce que je n'étais qu'un enfant à l'époque, incapable ne serait-ce que de comprendre ce qui m'est arrivé. Quelqu'un qui s'en prend à un enfant est bien plus dangereux que quelqu'un qui s'en prend à un adulte et les conséquences ne sont pas tout à fait les mêmes. Si le second m'a démolie, c'est parce qu'il a exacerbé le premier trauma. Et, adulte, j'étais en situation de me défendre. Ce que j'ai fait même si ça n'a pas du tout eu les effets escomptés. Et est-ce que pour moi ça aurait été la même chose de me faire violer? Clairement, non! Les voix des victimes de viols, et de leurs auteurs hanteront mon esprit jusqu'à la fin de mes jours, comme celles des victimes d'agressions sexuelles "simples".
Donc non. On ne peut pas mettre les deux sur le même plan, c'est indécent, grave et dangereux. Il y a une gradation. La loi est mal foutue, c'est une évidence. Quand je vois les peines qui sont prononcées, j'ai souvent envie de pleurer, par empathie pour les victimes. A titre personnel, je considère que les actes pédophiles devraient être jugés aux assises, quels qu'ils soient, comme les viols parce que la dangerosité de l'auteur est trop importante pour que ce soit au même niveau qu'une main aux fesses. Parce que, là aussi, il faut mettre une frontière, même si elle doit être floue, comme sur la question de l'âge auquel on n'est plus, aux yeux de la loi, un enfant. En ce qui me concerne, il n'y a même pas eu de jugement. Parole contre parole, faits prescrits.

Oui, une main aux fesses peut être extrêmement traumatisante et avoir de très lourdes conséquences, oui ceux qui font ça sont des ordures, oui ils sont dangereux, mais non ça ne peut pas être mis au même niveau que ce qu'a vécu cette jeune femme, que j'ai vue tomber dans les pommes en pleine audience, après avoir pleuré toutes les larmes de son corps, parce qu'un prédateur sans limites l'a violée dans un parc, un couteau à la main.
Celles qui ne seraient pas d'accord avec ça n'ont qu'à aller argumenter auprès d'elle, et lui dire, sans trembler des genoux, qu'elles aussi ont été "violées" parce que leur copain les a embrassées, une fois, alors qu'elles n'étaient pas d'accord et que ce qu'elle a vécu n'est ni plus ni moins grave.

jeudi 19 mars 2020

Journal de confinement

Dimanche 15 mars, je me suis retrouvée dans une salle des fêtes, avec plusieurs dizaines de personnes, pour la proclamation des résultats du premier tour des municipales. Dès mon entrée, j'ai ressenti un vague malaise: qu'est-ce que je faisais là? Qu'est-ce qu'ON faisait là? Je suis restée de longues minutes, seule et à distance des autres, à observer, hébétée, les flacons de gel hydro-alcoolique sur les tables, une dame déambuler avec un masque sur le visage, une autre distribuer des bières à ceux qui avaient participé au dépouillement et tous ces gens, qui ne se serraient pas la main, mais qui discutaient tranquillement, à bout portant. Absurde! Je n'avais pas percuté, à ce moment, que les listes qui avaient fait plus de 50% devraient réunir tous les élus sous huit jours pour procéder à l'installation des conseils. Absurde!

Lundi 16 mars, j'ai regardé l'allocution du Président de la République. D'habitude, je les fuis. Je me contente des résumés et des commentaires. Là, je savais, comme nous tous, qu'elle serait historique et très lourde de conséquences. "Nous sommes en guerre", a-t-il répété, tout en nous expliquant qu'on allait devoir rester confinés chez nous, sortir le moins possible, pour au moins deux semaines. Deux semaines? Qui peut croire que cela suffira pour éradiquer le virus? On nous explique qu'il n'y aura pas de vaccin avant un an, un an et demi. Alors quoi? On freine sa progression et on recommence? L'idée, ce n'est pas de l'éradiquer, mais de le faire durer: ralentir sa progression pour que les hôpitaux puissent gérer l'afflux de malades. Étaler la contamination sur le long terme. Au final, on aura une chance sur deux, environ, de l'attraper, ce virus. Ensuite, on sera ou mort ou immunisé. Sauf miracle: remède qui survient ou disparition du virus pour des raisons qu'on n'aurait pas prévues. Charmante perspective. Je suis toujours sidérée. Je n'arrive pas à croire à ce qui nous arrive. Je ne mesure pas les conséquences. Le moment est effectivement historique. J'ai peur. Surtout pour mes parents. Les chances de survie de ma mère si elle l'attrape sont quasiment nulles. Celles de mon père assez faibles.

Mardi 17 mars, j'ai la confirmation que je peux, légalement, travailler, mais que je n'ai plus rien à faire, si ce n'est expédier les affaires courantes. Quelques heures à taper sur mon ordinateur, quelques coups de fil et c'est terminé. J'ai l'autorisation de travailler, mais pas de travail. Le gouvernement indique qu'il y aura des aides, mais je doute d'y être éligible. Dans le même temps, ma chaudière tombe en panne. Bien sûr, il fallait que je parte avec un handicap supplémentaire. Le soir, je vais au drive pour remplir mon frigo: leurs lecteurs de cartes ne fonctionnent plus. "Vous pouvez payer en chèques? En espèces avec le compte juste? Non? Alors, il faudra revenir demain". Ça me fait rire. Je repense aux années 99-2000, quand je vivais dans une ruine, sans chauffage, sans eau chaude, avec des fenêtres brisées, de la saleté partout, de l'humidité, des bestioles et pas de thunes. Je repense à ce pote qui m'a souvent répété qu'en cas de guerre, je ne survivrais pas longtemps. On y est, et ça me fait rire. Je multiplie les vannes sur les réseaux sociaux pour faire sourire mes amis confinés.

Mercredi 18 mars, toujours pas de chaudière, mais j'ai pu remplir mon frigo. En partie. Plusieurs références ne sont plus disponibles. Il va falloir que je change mes habitudes. Les employés du drive nous amènent les chariots, nous demandent de récupérer les produits et de leur ramener l'engin une fois vide. Dans les rues règne une ambiance apocalyptique. Le silence est ce qu'il y a de plus frappant. Le vide. Le néant. Sur la route se trouvait un panneau pour nous annoncer que la qualité de l'air était bonne. Il faisait un temps à se promener, à "profiter". Sur le parking du Mac do, fermé, un camp de gens du voyage s'est installé. Je me demande comment ça se passe pour eux, le confinement. Et aussi pour les SDF, oubliés par le Président de la République. Comme d'hab.
Ma soeur s'inquiète pour ma situation financière. Je la rassure: j'ai des réserves et jusqu'à fin avril, je ne devrais même pas avoir à taper dedans, si je continue à me serrer la ceinture. De toute façon, que faire d'autre? Je commence à mesurer les conséquences à mon échelle. Quelques mois auparavant, j'envisageais de quitter ce boulot anxiogène au plus haut point, mais je me disais que c'était impossible en l'état. Depuis huit ans que je l'exerce, je n'ai jamais pris de vacances, parce que j'avais peur de me retrouver dans la merde, tant il paye peu. Bien sûr, j'ai réussi à constituer des réserves, mais je les destinais à autre chose: remplacer ma voiture quand elle sera HS, et/ou ma transition, bien sûr. Et là, je n'ai plus d'autre choix. Conséquence: mon cerveau respire, ma phobie sociale s'atténue, d'autant qu'elle n'a plus vraiment de sens vu que tout le monde doit s'éviter. Je me suis remise à mon roman. J'aurai très largement le temps de le finir, même si le confinement ne dure que quinze jours. J'envisage aussi de me remettre à mon blog d'aide aux écrivains, de le remettre en route, corriger tous les liens devenus foireux. En réalité, cette situation m'exalte. Je culpabilise de le dire, parce qu'elle est tragique et que dans les mois qui viennent, je vais certainement pleurer à chaudes larmes la perte d'êtres chers, mais je me demande si ce n'est pas ce qui pouvait m'arriver de mieux à titre purement individuel. C'est dire à quel point, elle était moisie, ma vie. La maladie m'angoisse, mais le confinement m'arrange. Je vais pouvoir être moi-même pendant des semaines. Cerise sur le gâteau: mon orthophoniste, confinée, m'a peut-être trouvé une solution de remplacement qui me permettrait de travailler ma voix le temps que la situation revienne à la normale.

Jeudi 19 mars, j'ai longuement hésité à rappeler la secrétaire pour ma chaudière. Trois jours de suite, je craignais que ça ne devienne lourd. Après tout, eux aussi doivent composer avec le confinement, donc difficile de trouver des créneaux. Je ne me voyais pas râler. Mais la veille, elle m'avait dit de rappeler si personne ne s'était manifesté d'ici là. Alors je l'ai fait. Et dix minutes plus tard, un technicien sonnait à ma porte, avec son masque sur le nez. En deux minutes, le problème était réglé. La VMC était tombée en rade lundi pendant quelque temps, ce qui avait mis en rade la chaudière. Une simple petite manipulation et c'était réglé. Dans ce contexte, chaque petit geste semble héroïque. Je l'ai chaleureusement remercié de m'avoir trouvé un créneau, d'avoir bravé la maladie et d'avoir bidouillé le haut de ma chaudière pendant quelques secondes. Oui, faire simplement son travail est devenu héroïque. La douche qui a immédiatement suivi, je l'ai appréciée comme j'en ai rarement appréciée. Je vais désormais pouvoir me remettre à l'exercice avec mon jeu de danse. Suer sans pouvoir prendre de douche derrière, ça ne m'enchantait pas: faire chauffer de l'eau, passer un coup de gant de toilette... Bof.
J'ai hésité à me remettre sur mon bouquin, mais j'ai préféré démarrer ce journal, d'abord. Avant d'oublier. Il sera intéressant, je pense, de voir comment mon état d'esprit va évoluer dans les semaines qui viennent. Cette situation inédite va nous permettre, dans sa tragédie, de découvrir qui nous sommes en réalité. À titre individuel et en tant que société.

Vendredi 27 mars, j'ai regardé les infos, peut-être un peu plus longtemps que d'habitude, aujourd'hui. J'ai eu la pétoche. Les personnes de plus de 80 ans ne sont plus admises en réanimation. Pas assez de places pour trop peu de chances de survie. Ceux qui sont sévèrement touchés restent plusieurs semaines intubés et la rééducation peut prendre des mois. Nous n'avons pas encore atteint le fameux pic, ce qui signifie que la situation va rester critique pendant encore plusieurs semaines, malgré le confinement. Et celui-ci va donc durer au moins jusqu'en mai.
J'ai pu réparer mon blog, qui cartonnait il y a 5 ans, avant que je ne doive changer son nom, ce qui a foutu en l'air les nombreux et indispensables liens qui permettaient d'y naviguer. Il va falloir du temps avant qu'il ne remonte la pente, d'autant que je me vois pas m'investir comme je le faisais par le passé. Je verrai comment les choses évoluent, si la demande redevient forte et si je peux en tirer un bénéfice, il est probable que je m'y remette. Idem si mes autres priorités me laissent du temps lors de ce confinement.
Ces derniers jours, j'ai aussi pu me remettre à mon roman, et commencer à réfléchir aux deux prochains. Normalement, il devrait être totalement fini, mis en forme et même envoyé aux éditeurs.
Le confinement est donc une bénédiction pour moi. Ma seule inquiétude vient de l'approvisionnement en bouffe. C'est l'avantage de mon vécu, de mon hypervigilance, de ma phobie sociale: je suis assez inadaptée aux situations "normales", et totalement adaptée à la solitude. Qui est en plus particulièrement propice à ma créativité.
Par contre, pour ce qui est de cette foutue pandémie, c'est tout autre chose. Si jamais un de mes proches chope cette saloperie de virus, je vais vite devenir une rate en cage. Il n'y aura plus de créativité.

Mercredi 8 avril, hier j'ai passé quatre heures au téléphone avec deux personnes différentes. Je crois que c'est mon record absolu. Même avec mes ex, je ne restais jamais si longtemps au téléphone. Elles avaient besoin de parler, en ces jours étranges. Elles estiment que je suis une personne de confiance et elles avaient besoin d'exprimer leur souffrance, même si nos rapports sont avant tout voire exclusivement professionnels. Perturbant et tellement révélateur. Je n'éprouve pas ce besoin, même si je sens la trouille me gagner. Tous les soirs, je regarde les statistiques, dans l'espoir d'y trouver un mieux. Et la situation reste critique. Restez chez vous.
Une amie a chopé cette merde. C'est son médecin qui le dit. Quand elle m'a énoncé ses symptômes, je me suis demandé si je n'étais pas malade, moi aussi. J'ai une légère difficulté à respirer, depuis jeudi. Ca m'arrive assez souvent, mais d'habitude, ça passe plus vite. J'ai aussi des rougeurs étranges sur un orteil. Certains dermatos disent que c'est un symptôme. Cette saloperie ressemble à tout et à rien. On peut sans problème la confondre avec rien, une grippe, un rhume, une crise d'asthme, une crise d'angoisse, une bronchite... Combien de personnes somatisent, persuadées de l'avoir chopée? Magnifique machine de mort, invisible et juste assez meurtrière pour n'avoir pas été prise assez au sérieux à temps.
La situation reste critique. Le cap des 10 000 morts est dépassé depuis quelques jours. Toujours aucun remède. Il peut falloir jusqu'à 18 mois pour élaborer un vaccin. Et d'ici là? Pour atteindre l'immunité collective, en douceur, en confinant pour éviter que les hôpitaux soient surchargés, on peut dépasser les 100 000 morts, rien qu'en France, sans compter les suicides, meurtres et l'économie en rade. Et si d'ici au vaccin, il mute, rendant ce dernier inopérant? Et si avoir été infecté une fois ne garantissait pas d'être immunisé? On n'en sait rien. Il peut aussi disparaître tout seul, pour X raison.
Je pense toujours avec des suées à mes parents, fragiles. Je pourrais très bien me retrouver orpheline dans quelques jours, dans quelques semaines, dans quelques mois... Il suffit de quoi? D'un postillon?
Lundi, on m'a proposé de reprendre le boulot, au tribunal. J'ai hésité avant de décliner, pour le moment. Oui, c'est historique, voir la justice travailler dans des conditions apocalyptiques, c'est effrayant. Mais j'ai estimé que c'est trop dangereux pour le moment. Le nombre probable de contaminés est trop élevé. Des avocats, des magistrats, des policiers sont actuellement malades. J'ai besoin d'argent, mais je ne suis pas assez payée pour prendre un tel risque. Je vais attendre que mes poumons fonctionnent normalement, que les hôpitaux se déchargent un peu. Pas avant la semaine prochaine, plus probablement celle d'après.
Mais globalement, j'ai plutôt le moral.

Dimanche 19 avril, hier je devais faire des courses. Sauf que la batterie de ma bagnole est tombée en rade. Je savais que ça finirait par arriver. Déjà, en temps normal, je roule juste assez pour la recharger, là, en l'utilisant 30 minutes tous les 10 jours, sur une dizaine de kilomètres, en ville, c'était forcé. Là, au volant, je me suis demandée ce que j'étais censée faire? Demander à un voisin de me dépanner avec des câbles? Je ne connais personne. Et ça n'aurait réglé le problème que très momentanément: je n'ai pas le droit de rouler pour recharger ma batterie! Donc, j'aurais pu faire mes courses et la fois d'après... rebelote. Appeler un garagiste? Ca risquait de me coûter bonbon, d'autant que je n'ai pas l'assistance 0 km. Et en plus, il aurait probablement relancé la batterie, sans la recharger... J'ai donc appelé mon père. Le vieux réflexe. Et ça m'a mise en stress. Est-ce qu'il ne risque pas d'attraper cette saloperie de virus en me rendant service? Est-ce qu'on a le droit de venir aider un proche à recharger sa batterie sans se prendre un pv à 135 euros? Il s'est fait contrôler. Il a dit qu'il allait me faire des courses parce que j'étais malade, d'autre chose que du corona. C'est passé... A son arrivée, avec mes courses qu'il avait récupérée au passage, au drive, je lui ai proposé de se laver les mains. "Ben non. Pour quoi faire?". Ha? OK...
Peut-être parce que tu es un sexagénaire diabétique qui vit avec son épouse qui souffre de BPCO particulièrement aiguë, papa... Et que tu as été en contact avec un employé libre service qui côtoie pas mal de monde. Si d'ici 3 semaines, ils tombent malades, là-bas, je vais y repenser.
Le pire, c'est qu'il va devoir revenir. On n'avait pas la bonne clé pour démonter la batterie.
D'ailleurs, petit détail cocasse. Il y a un an, un an et demi, un voisin avait fait connaissance avec moi. Il m'avait taillé la bavette pendant 5 min, sympa. Ensuite: plus rien. Non seulement il ne répondait plus à mes "bonjour", mais il me regardait de travers. Et là, en voyant que j'étais en panne, il m'a reparlé, toujours sympa. Alors que pour la première fois en un an et demi, je m'étais abstenue de lui dire "bonjour", en mode "ok, c'est bon, il me répond jamais. Il veut pas avoir de contact avec moi: soit!". Et il a même proposé de m'aider. Malheureusement, il avait disparu quand on s'est rendu compte qu'on n'avait pas la bonne clé. Jours étranges, gens étranges.
Une fois seule, face au miroir de l'ascenseur, je me suis dit que ça allait commencer à devenir compliqué de me faire passer pour un mec. Mais pour le moment, ça ne semble poser de problème à personne. Cool.
Sinon, je n'ai toujours pas repris le boulot. Je me contente de petits articles, un, deux, trois par semaine. Pas de quoi me faire gagner un RSA. J'ai proposé de retourner au tribunal, mais je n'ai eu aucune réponse. Peut-être n'est-ce finalement pas possible, ou pas souhaitable. Il faudra que je me renseigne, la semaine prochaine.
Mon histoire est terminée. J'ai un prologue, un épilogue et un gros pavé entre les deux. Maintenant, il va falloir que je me relise, que je tisse quelques fils entre le début, le milieu et la fin pour que tout soit parfaitement cohérent, que je travaille un peu le style, la forme, les fautes... Et ensuite, il va me falloir au moins un oeil extérieur. Le gros est fait, maintenant, reste à voir si la recette fonctionne...

Samedi 2 mai. On a indirectement incendié ma voiture, mardi soir. Je regardais The walking dead dans mon canapé, à me dire qu'il commençait à se faire l'heure d'aller me coucher. J'étais crevée, pas très bien. Et j'ai entendu un klaxon plus qu'insistant. Après avoir ouvert ma fenêtre, j'ai vu la voiture juste à côté de la mienne en proie à des flammes de trois mètres. La mienne ne brûlait pas encore. Panique. J'ai appelé les pompiers, qui étaient déjà au courant. Il fallait que je descende, que j'essaie de sauver ma voiture. J'étais dans un état second. J'ai enfilé un pantalon, un blouson, ma casquette et je suis descendue. Des voisines m'emmerdent "c'est votre voiture qui brûle?", j'essaie de répondre poliment mais ça m'agace. Deux jeunes entrent dans l'immeuble alors que tout le monde sort, ils me regardent bizarre. Je me précipite, mais sans courir. Je suis toujours dans l'idée folle de sauver mon véhicule. A quelques mètres de l'incendie, un phare explose, des gens me crient de faire attention: je me réveille. Je comprends. Je réalise. Il est trop tard. Ma voiture est morte. Je ne peux plus rien faire. J'ai envie de pleurer. Je n'ai pas d'autre choix que de rester à bonne distance et de regarder cet outil coûteux et essentiel cramer. Et d'attendre. C'est là que je percute: je suis maquillée. Tout le monde m'appelle monsieur. Je me mets de la salive sur les doigts et j'essaie de l'effacer. Grave erreur: je ne peux pas le voir mais j'ai sacrément étalé tout ce noir. On dirait que je porte un masque, comme un raton laveur. Je me précipite chez moi pour enlever tout ça. Les regards sont lourds. Comme si j'avais besoin de ça. Les questions continuent "alors? votre voiture?" Je hausse les épaules. Je reviens, les yeux présentables. J'ai toujours envie de pleurer. Les pompiers sont déjà là, ils traitent ma voiture comme une épave, arrachent le coffre, l'arrosent copieusement. Le quartier est déconfiné: tout le monde est dehors, en cercle autour du désastre. Des voisines viennent me parler, avec des paroles qui se veulent réconfortantes. Je ne les écoute qu'à moitié. J'ai pas envie de parler. Je me présente aux pompiers qui prennent mes coordonnées. La police finit par arriver. Idem. Ils compatissent. Je demande à essayer de récupérer quelques affaires: il faut attendre le photographe. Attendre, encore. Je n'ai qu'une envie, c'est de me sortir de ce cauchemar. Je vois la propriétaire de l'autre véhicule, celui qui a contaminé le mien par l'incendie, avec sa famille. "Ce n'est que du matériel". Phrase bateau. Indiscutable et merdique. C'est pas une vieille chaise cassée par l'usure. Une voiture, c'est beaucoup plus que ça. C'est primordial. Sans ça, pas de boulot, plus de lien physique avec ma famille, mes amis. C'est des souvenirs, bons, mauvais. C'est un compagnon de route. C'est la galère: plainte, assurance, remplacement... Tout ça en plein confinement.
J'ai récupéré mes CD, sauf Smells like teen spirit qui a eu le malheur de rester dans l'autoradio. Il m'avait été offert par ma soeur, à Noël. J'espère que les autres fonctionneront toujours, mais ils puent le cramé, malgré le savon sur les pochettes. J'ai récupéré des raclettes pour virer le givre, du liquide de refroidissement... Mes lunettes. Voilà tout ce qu'il me reste de ma 206. Et une épave sous mon nez depuis mardi. J'attends d'être contactée par l'expert pour la faire retirer. Là, je pourrai, peut-être, commencer à envisager de passer à autre chose.
La nuit de mardi à mercredi a été à la fois courte, en sommeil, et très longue. J'ai cauchemardé de l'incendie. Sur FB, j'avais mis des photos du désastre, pour prévenir ma famille, mes amis, le boulot... Le lendemain, les appels, les messages, les commentaires se multiplient. Moi, je suis assommée. Mon père vient avec ma soeur pour me prêter sa voiture. Un souci en moins, sauf que j'ai peur qu'elle se fasse incendier, elle aussi. Une vraie peur. Je ne sais pas où la garer. Je considérais que l'endroit où j'avais mis la mienne devait être le plus sécurisé du quartier: quatre barres d'immeubles pointaient leurs fenêtres vers elle. Et non, il n'y a pas d'endroit sûr, ici. Même si je ne connais personne, même si je n'ai de problème avec personne, mon véhicule peut se faire incendier. Et là tout le quartier m'a vue maquillée, et m'a appelée "monsieur".
Je suis secouée, sur les nerfs, assommée. J'avais un petit boulot à faire cette semaine. Pas fait. J'avais très largement le temps, mais non, mon cerveau n'en avait strictement rien à carrer. Procrastination. Tant pis, c'était ni urgent ni primordial. Je le ferai la semaine prochaine. La semaine prochaine, je vais me vider le cerveau. En finir avec la plainte, avec l'expert, le retrait du véhicule, l'assurance, les impôts, les rendez-vous médicaux que je décale depuis des semaines, Free et SFR qui me doivent de l'argent... Il faut que je me remette en selle et que je vire tous ces détails angoissants. Sinon je vais être submergée. Je le sais.
C'est la première fois aujourd'hui que je me remaquille depuis mardi. Je savais déjà que je ne pouvais pas sortir de chez moi comme ça. J'en ai eu la très désagréable confirmation. Néanmoins, cette pause m'a permis de comprendre que si j'ai des problèmes respiratoires depuis des semaines, c'est à cause du maquillage, sans doute la BB crème. Je m'en passerai, à l'avenir, y compris chez moi.
Je repartais sur une bonne dynamique, avec la reprise du boulot et... C'est dur de vivre ça, surtout dans cette période où nous sommes fragilisés. A un moment, il faudra aussi que je remplace ma voiture. Mon père compte m'y aider. J'aviserai en temps utile. Ca m'emmerde d'avoir toute cette aide de mes parents, alors que je leur cache, en partie, ma transidentité.

vendredi 28 février 2020

Faut-il séparer les torchons des serviettes?

J'adorais Noir Désir. Vraiment. Je ne l'écoute plus spontanément. Et quand une chanson passe à la radio, je ne peux m'empêcher d'imaginer les coups que Cantat a porté à Marie Trintignant. Ce qui me gâche totalement mon plaisir.
Quand j'entends des importants demander s'il faut "séparer l'homme de l'artiste", j'écarquille les yeux. Déjà, parce que la question est mal posée. Il faudrait, à tout le moins, dire "Faut-il séparer le criminel de l'artiste?", ce serait déjà plus juste. Parce que la question ne se pose jamais concernant de petites maladresses, ou même de petits délits. Mais surtout, ce que moi j'entends, c'est "Faut-il séparer le petit peuple des puissants?". Parce que pour un petit artiste, peu connu, on ne se pose pas la question. Parce que je doute que les chômeurs, ouvriers, petits fonctionnaires, la classe moyenne se pose la question. Sauf s'ils sont influencés par les médias, ou... s'ils considèrent que ce qui est reproché à l'artiste n'est pas si grave. Et dans ce cas, ça mérite à tout le moins une remise en question, voire une sérieuse thérapie.
Parce qu'elle est là, la vraie question. Elle est posée, sous cette forme, par une caste, celle qui nous dirige, les puissants, les influents. Pourquoi? Parce qu'ils sont directement concernés, ou parce que ce sont des amis, des proches des personnes directement concernées. Faut-il séparer le gueux du puissant? Parce que le gueux, il n'est pas qu'un homme, lui non plus, mais la question ne se pose pas. C'est d'ailleurs la défense de Matzneff: lui, il peut se permettre d'être pédophile, parce qu'il est quelqu'un. Violer une gamine, à ses yeux, c'est l'honorer. Alors que s'il s'agit d'un gueux, d'un chômeur, d'un ouvrier, là, d'accord, c'est dégueulasse, qu'on l'envoie croupir en taule. Sa pédophilie à lui, elle est classe et même bénéfique. Et manifestement, il n'est pas le seul à le penser, dans sa caste. Et uniquement dans sa caste. Il faut séparer les torchons des serviettes!
Le traumatisme pour les victimes n'est pas moins important. Et à cause de cette caste fraternelle jusque dans l'horreur, qu'il est difficile pour elles de parler, de déposer plainte!

Séparer l'homme de l'artiste? Quand on étudie une oeuvre, on étudie aussi son auteur. Et ce pour une raison simple: cela permet de la comprendre. Il faut la situer dans son contexte historique, géographique, mais aussi savoir si c'est un homme, une femme, un bourgeois, un prêtre qui en est l'auteur. Qui parle? A qui? Pourquoi? Dans quel contexte? Borgès a écrit un court texte dans lequel il critique Don Quichotte, non pas écrit par Cervantès mais par Pierre Ménard, un auteur fictif. Et évidemment, ça change tout quant à l'appréciation de l'oeuvre. Imaginez "J'accuse", non pas réalisé par Polanski, mais par un tout autre réalisateur, à qui on n'a rien à reprocher. Le sens ne serait plus tout du le même et la cérémonie des Césars se serait déroulée de façon très différente. Ce film aurait-il été nommé? Aurait-il seulement pu exister? Aurait-il été élu meilleur film? On aurait sans doute parlé d'un film historique, qui dénonce l'antisémitisme, et non pas d'un criminel qui dénonce en sous-texte ses accusatrices. Non, on ne peut comprendre pleinement une oeuvre si on la détache de son contexte, de son auteur. On ne peut comprendre les Fables de La Fontaine, si on ne les situe pas au règne de Louis XIV.
On peut admettre que Juliette ait 12 ans et Roméo 21 si on les replace dans leur contexte historique, uniquement.

Défendre Polanski parce qu'il réalise des chefs-d'oeuvre? Mais le monde survivra à Polanski, comme il a survécu à la mort d'Hitchcock, de Renoir, de Verlaine. Cet homme n'a rien d'indispensable. D'autres excellents réalisateurs existent, certains viennent de naître, d'autres vont émerger bientôt. La Terre et le cinéma continueront à tourner avec ou sans lui, comme sans moi, comme sans toi qui me lis. L'histoire de l'art est remplie de génies plus ou moins précoces morts avant même d'avoir connu le succès, ou simplement jeunes. 
Alors oui, on est parfaitement en droit de s'indigner que le monde du cinéma français honore ce type et en particulier ce film, au lieu de l'écarter. On est en droit de penser au crime qu'il a reconnu quand on le voit. On est en droit d'y penser devant ses films. Et de ressentir du dégoût, et de le dire, de le manifester. On est en droit de ressentir de l'empathie pour celles qui l'accusent, plus que pour lui, le puissant, défendu par sa caste, contre nous, les gueux, ceux qui n'ont droit de commettre aucune faute, nous qui ne serons défendus que par un avocat commis d'office, mal payé, modérément motivé si jamais on vole une orange, si jamais on tire la manche d'un policier pendant une manif.

Je considère même qu'il est de notre devoir de nous indigner devant cette injustice permanente et devant cette frontière d'une violence incommensurable qu'ils dressent entre eux et nous. Qu'ils ne s'étonnent pas si les gueux finissent par devenir violents, eux aussi. C'est déjà le cas et cette violence ne fera que s'amplifier. 
Parce que oui, comme l'a crié Adèle Haenel ce soir, avant de fuir cette nouvelle humiliation des hommes puissants à l'encontre des femmes condamnées à l'impuissance: "C'est une honte!".

samedi 22 février 2020

Pourquoi élaborer une méthode d'écriture?

Après discussion sur Twitter avec une autrice sur sa méthode de travail, j'ai décidé de faire la même chose, mais aussi de parler de mon processus créatif.

Quand j'ai commencé, vers 17 ans, à écrire des fictions, il ne m'était jamais venu à l'esprit qu'il me faudrait trouver une méthode de travail. J'avais une idée, je la mettais en forme et je tapais au kilomètre, sans trop me poser de questions. Sur des textes courts, ça peut fonctionner. Sur des sagas du genre Game of thrones, à moins d'être un extra-terrestre, je ne vois vraiment pas comment on pourrait s'en sortir, de tête, avec toutes les intrigues, les nombreux détails sur chaque personnage, les lieux etc sans avoir des outils pour s'aider.

Il m'a néanmoins fallu très longtemps avant de m'en rendre compte, parce que j'ai justement commencé par des textes courts (poèmes, nouvelles, théâtre), parce que ma première préoccupation était le style (que la poésie m'a permis de travailler), l'élaboration de personnages complexes (l'écriture de nouvelles aide) et les dialogues (coucou le théâtre). Je n'ai vraiment attaqué le roman qu'en 2010. Et là, j'ai très vite percuté que j'avais un problème. Style, personnages et dialogues peuvent être médiocres dans un roman (coucou Dan Brown ou Mireille Calmel), mais pas sa structure. L'histoire doit être bien amenée et accrocher le lecteur du début à la fin, elle doit être cohérente et vraisemblable, sinon c'est perdu.

Bien sûr, il doit être possible d'écrire un court roman (et peut-être même un long) en y allant au feeling, à l'instinct, mais pour cela j'imagine qu'en plus d'une cervelle bien faite, il faut être rentier, ne pas avoir de vie de famille ou d'amis. Rester focus sur son travail, tous les jours, sans autre préoccupation et avoir une idée claire dès le départ. Mais ce n'est pas du tout mon cas. Je peux rester six mois sans écrire une ligne, sans avoir même l'occasion d'y penser ne serait-ce qu'une minute. Et quand enfin je m'y replonge... c'est à la fois très long et très laborieux de tout me remettre en tête. Au point que parfois j'ai juste le temps de m'immerger dans mon univers que je suis déjà happée par le travail, ou divers soucis. Frustrant.

Des romans, j'en ai écrit plusieurs. Et chaque fois, ce même constat: c'est totalement déstructuré, mal amené. On sent que je ne sais jamais exactement où je vais, que je dois bidouiller pour coller certains éléments. C'est un peu comme une oeuvre plastique avec plein de ruban adhésif partout.

L'avantage, néanmoins, c'est que c'est plaisant à écrire. On découvre son univers progressivement, on enrichit ses personnages, on s'excite à chaque nouvelle idée... Et quand on a placé le point final, comment on est trop fier de cet amoncellement de coups de génie! Oui, sauf qu'une fois l'excitation passée et qu'on peut se relire à froid: ouille! Ca pique. Non, décidément, ça n'a aucune place parmi tous les livres qui composent ma bibliothèque. Oui, il y a de bons passages, de bonnes idées, mais ils ne sont pas liés correctement. Des bouts de scotch. Dan Brown et Mireille Calmel sont infiniment meilleurs que moi, la petite prétentieuse.

J'ai fait ce douloureux constat avec mon précédent livre: Des Ruines et des esclaves. A la base, il s'agissait... d'un recueil de nouvelles. Et allez savoir pourquoi, j'ai voulu transformer ça en roman. Des bouts de scotch partout pour faire coller des histoires qui n'avaient à l'origine aucun rapport les unes avec les autres. Pour un bidouillage d'une telle ampleur, je m'en suis trop mal sortie. Je n'en ai pas honte. Je trouve qu'il y a du bon. Mais ça m'a quand même décidée à revoir totalement ma méthode de travail.

Je me suis alors relancée dans un nouveau projet: la suite. L'idée était d'en faire un plan ultra-détaillé. J'ai abandonné très vite, parce que c'était beaucoup trop laborieux, parce qu'il aurait fallu que j'invente une méthode pour élaborer ce plan et parce que savoir d'avance, précisément, où j'allais m'enlevait tout plaisir d'écriture. Sans compter les idées qui me venaient en cours de route et qui me forçaient soit à les jeter à la poubelle, soit...à retravailler le plan sur lequel j'avais passé des jours depuis le début. Très mauvaise idée. 

J'ai alors décidé d'attaquer Les Métamorphoses, un projet qui me traînait dans la tête depuis très longtemps, mais que j'avais toujours délaissé parce que manquant d'ambition. Du divertissement pur et dur qui, à mon sens, ne pourrait toucher qu'un public très restreint et risquait de me valoir une étiquette négative. Un roman érotico-fantastique, rendez vous compte... C'était absolument parfait pour travailler ma méthode, m'entraîner. Plaisant à écrire puisque c'est du divertissement, sans aucune pression, dans un genre où les exigences littéraires sont plutôt faibles. Si je me plante, ça n'a aucune importance, ce n'est pas quelque chose qui me tient particulièrement à coeur. Et si je réussis, j'aurai trouvé la bonne formule pour mes prochains projets et peut-être même que ça pourra m'ouvrir quelques portes, finalement.

Et comme cet article est déjà bien long (c'est désagréable la lecture sur écran, hein?), la suite dans un prochain épisode.

lundi 17 février 2020

Pourquoi il faut lire Irvine Welsh

Le sondage que j'ai lancé sur Twitter a parlé: mon premier article sera consacré à l'un de mes auteurs favoris, l'Ecossais Irvine Welsh.



Comme beaucoup, j'ai découvert cet auteur grâce au film Trainspotting réalisé par Danny Boyle. C'est Le film qui a lancé la carrière de l'immense Ewan Mc Gregor, mais il s'agissait surtout d'un véritable hymne punk pour toute ma génération, et sans doute aussi pour la précédente.


J'ai donc commencé par ce livre éponyme qui a été une véritable claque littéraire. Welsh laisse ses personnages raconter leur propre histoire, des tranches de vies totalement déglinguées par la drogue, le chômage et les relations hautement toxiques. La plupart de ses personnages sont des ordures de la pire espèce qui commettent des horreurs difficilement soutenables. C'est de cette façon que Welsh racole ses lecteurs: par la provoc, le trash mais il le fait pour la bonne cause. Ce n'est absolument pas gratuit.
Car Welsh s'inscrit dans la lignée des Zola et autres Flaubert: il explique, au fil de ses bouquins, comment ces ordures, ces Thénardier (pour remonter encore plus loin dans l'héritage), en sont arrivés là. Il nous parle du déterminisme social, des ravages de Thatcher, de l'abrutissement des masses... Dans Glu, il montre comment l'amitié et les valeurs peuvent devenir un véritable enfer. Trainspotting, Porno, Skagboys, Glu s'ancrent dans une cité d'Edimbourg sans présent, sans futur, sans espoir, à moins d'agir en égoïste et de façon intelligente. Les gentils crèvent comme des merdes, les méchants survivent et les autres fuient, en permanence.
L'oeuvre de Welsh permet de comprendre le monde et les rapports sociaux chez les pauvres. Si vous cherchez un auteur qui vous aide à vous sentir mieux, passez votre chemin. L'humour est très présent dans ses livres, mais il est désespéré. Ils sont néanmoins complets: intéressants, intelligents, émouvants, drôles...
Du moins jusqu'à Glu. Par la suite, Welsh a déménagé à Miami. Lui aussi a tenté de fuir son environnement, son milieu. Lui aussi a essayé de se détourner de ces personnages pour trouver la lumière. Mais il semble avoir perdu la flamme. Même quand il retourne dans son univers d'Edimbourg et qu'il prolonge l'histoire de ses personnages fétiches, l'intensité n'est plus la même. Skagboys est un bon livre, mais plus superficiel que les autres. Idem pour La vie sexuelle des soeurs siamoises. Je le vois comme ces groupes de rock qui s'acharnent à sortir des albums sans trop savoir pourquoi, qui ont perdu l'énergie, la folie de leurs virevoltants débuts. Je le lis avec plaisir, mais aussi avec un peu de gêne. DMT insinue en moi une certaine nostalgie, je prends plaisir à retrouver cette ordure de Sick Boy, ce psychopathe de Begbie, ce malheureux Spud, mais je referme le livre avec un désagréable sentiment de platitude, une déception. Parce que Welsh m'a fait monter si haut dans l'exigence littéraire que la moindre baisse de forme me saute aux yeux.

C'est vous dire s'il faut dévorer au moins ses premiers livres: Trainspotting, Ecstasy, Porno, Recettes intimes de grands chefs, Glu...
Et bip up aux traducteurs, parce que retranscrire l'argot écossais dans la langue de Molière doit être particulièrement compliqué.