dimanche 18 juin 2023

L'humour, le rire, la claque

 Depuis que j'ai commencé à écrire des sketchs, j'ai essayé de prendre du recul pour saisir la mécanique du rire. Pourquoi tel texte va faire hurler de rire (presque) tout le monde alors que tel autre va connaître un bide retentissant.

Il n'existe pas de recette miracle. Un simple "prout" peut faire hurler de rire certains enfants et aussi beaucoup d'adultes, et en consterner quantité d'autres. De la même façon, une vanne dans laquelle on se moque de l'accent d'un personnage appelé Mamadou continuera à faire rire certaines personnes, et à en indigner d'autres. Ça passait tranquille il y a quarante ans parce que les moqués n'avaient pas voix au chapitre.

Je ne crois pas que Coluche ou les Inconnus feraient les mêmes sketchs aujourd'hui, ou alors ils connaîtraient un succès nettement moindre. Parce que l'humour est en grande partie question de contexte.

La fameuse blague "Qu'est-ce qui sépare l'homme du singe? La méditerranée!", si vous la racontez, premier degré, en Algérie, vous aurez beaucoup moins l'impression d'être un génie de l'humour que si vous la racontez lors d'un meeting de Zemmour.

Mais il y aura toujours des OSS 117 pour soutenir qu'on peut rire de tout, que c'est juste un rôle, que c'est pas méchant et appeler à censurer les censeurs.

De la même façon, balancer une vanne pendant un mariage n'aura pas le même effet que la même vanne prononcée de la même façon pendant un enterrement.

Les blagues Carambar ne sont drôles que quand on les partage avec des amis qui ont envie de rire, vous avez remarqué? Si vous les lisez seul, en général, elles auront déjà bien de la peine à vous arracher un sourire. Par contre, si vous la lisez à une personne de bonne humeur en la ponctuant d'un rire communicatif et crédible, même forcé, vous pouvez déclencher un interminable fou rire avec une vanne pourtant très médiocre.

C'est très compliqué de faire rire avec juste un texte.

Ça l'est un peu moins avec une personne qui lit en audio, mais ça reste très compliqué, parce qu'il faut que la voix soit drôle, bien jouée avec une tonalité particulière.

Les humoristes, quand ils passent à la radio, sont souvent accompagnés d'animateurs payés pour rire de façon bruyante aux sketchs. Imaginez Paul Mirabel lire ses textes seul. Il resterait drôle, mais serait nettement moins efficace. Avec la vidéo et sa tête de chien battu, ça aide, mais pas autant que d'avoir des complices qui explosent de rire. Surtout s'ils ont un rire aussi contagieux que ceux de Dominique Farrugia ou feu Thierry Roland.

C'est pour cette même raison que les sitcoms telles que Friends ou Une Nounou d'enfer bénéficient de rires en boîte. On pourrait se dire que c'est tellement drôle qu'elles n'en ont pas besoin, sauf que ça aide beaucoup.

Il existe d'ailleurs une pratique connue depuis l'antiquité qu'on appelle "la claque". Elle consiste à assister à un spectacle et à rire ou applaudir aussi fort que possible, selon la situation, même si on n'en a pas envie pour inciter le reste du public à faire de même, ou donner l'impression d'un succès. Ou, à l'inverse, si on veut plomber un rival, on peut aussi venir à plusieurs pour huer les comédiens, même si le spectacle est bon.

Par exemple, imaginez un spectacle de théâtre amateur, comique, qui doit durer trois heures. C'est déjà long, pour un tel spectacle. Les professionnels, y compris au cinéma, excèdent rarement les deux heures, parce qu'au-delà, le spectateur fatigue. Imaginez qu'en plus le spectacle a pris deux heures de retard, mais les gens sont bien obligés de rester pour récupérer leurs enfants, leurs proches qu'ils sont venus voir. Parce que, bien sûr, ils ne viennent pas pour la prestation. Scénario catastrophe, j'en ai bien conscience, j'exagère volontairement le trait. Au début, les gens rient et puis, au bout de deux heures, ils en ont marre, ils ne pensent plus qu'à rentrer chez eux, qu'à voir ce calvaire se terminer.

Hé bien à ce moment, il n'est pas inutile pour les gens de l'association de se mêler au public, dans le noir, et de rire très fort à chaque vanne des comédiens pour essayer d'entraîner deux ou trois personnes avec eux, et, surtout, pour faire croire aux comédiens qu'ils ne sont pas en train de faire un bide total.

Ce qui pourrait s'avérer traumatisant.

Voilà pourquoi je n'arrive pas à me satisfaire de mes sketchs. Je n'ai pas le talent pour faire rire simplement avec ma timide voix, je suis trop complexée pour tenter la vidéo. Dans l'idéal, il me faudrait des complices, pour rire à mes vannes et entraîner le public. Dans ce contexte, les rires en boîte ne me semblent pas une bonne idée.

Bref, le podcast aura été une bonne expérience, mais je n'ai pas les moyens de mes ambitions, pour le moment. Si ma situation évolue, je pourrais y revenir mais je préfère consacrer mon énergie à la pure écriture.

Par contre, si d'autres veulent mettre en son et éventuellement en images mes textes, j'en serais ravie.

D'ailleurs, j'en connais une dont j'attends des nouvelles...

Critique: La Commode aux tiroirs de couleurs, d'Olivia Ruiz

 


J'aime beaucoup Olivia Ruiz, sa voix et son univers, alors quand j'ai vu qu'elle avait écrit un roman, je l'ai immédiatement ajouté à ma liste.

Et me voilà donc à donner mon modeste avis sur La Commode aux tiroirs de couleurs, chez Lattès avant de sortir en poche.

Dans cette fameuse commode, Olivia découvre l'histoire de sa grand-mère. Difficile de savoir où s'arrête la réalité et où commencent les petits arrangements, mais j'imagine qu'elle a dû faire primer la sincérité dans son récit.

Tout commence avec la guerre d'Espagne qui force une petite fille à fuir en France. La narratrice ne consacre que quelques lignes aux mauvais traitements infligés par les Français à ces migrants d'alors, ce n'est pas son sujet. Elle a appris la langue et s'est faite passer pour une française, parce que ça valait mieux pour tout le monde, et elle en avait la possibilité.

Le livre parle surtout d'un amour torturé par la dictature franquiste, d'une guerre qui enlaidit les plus belles valeurs, le deuil, la maternité...

La Commode aux tiroirs de couleurs dessine le portrait d'une femme à la fois ordinaire et formidable, une femme amoureuse et frustrée, une femme aimante et comblée par sa fille, une femme au fort caractère qui trace son chemin et celui de sa famille, de ses descendantes, jusqu'à Olivia.

Au niveau du style, je m'attendais à plus osé, plus poétique. Quelques envolées m'ont mis des étoiles dans les yeux, mais j'imagine que l'autrice a préféré la pudeur et l'humilité à l'audace, pour ne pas occulter l'histoire et son personnage, qui ne lui appartient pas vraiment.

C'est agréable à lire. Pas autant qu'un Pagnol, bien sûr, mais on se laisse emporter par l'émotion et les sentiments dans le récit de ce contexte révoltant.

samedi 10 juin 2023

Critique: Feminicid, de Christophe Siébert




C'est grâce à Diniz que j'ai fait la connaissance de Christophe Siébert, qui pèse dans le game, comme disent les jeunes, mais c'est pas le sujet du jour. Là, je ne vais pas vous parler de la légende, mais de l'auteur, en toute simplicité.

Bon OK, je vais essayer de ne pas partir dans la flagornerie.

Il s'agit donc de Feminicid, Une Chronique de Mertvecgorod, édité par l'excellent Diable Vauvert. Ha oui, pardon, pas de flagornerie, j'ai dit.

Je ne le connaissais pas du tout et je le regrette bien. Feminicid... C'est le titre qui m'a amenée à choisir cet opus plutôt qu'un autre. Le thème me parle particulièrement.

Je m'attendais à trouver un roman, mais non, c'est un assemblage de réflexions, de témoignages, de chronologies historiques. Christophe Siébert se met dans la peau d'un journaliste fictif qui enquête sur une abominable série de féminicides, et qui livre ses trouvailles.

La forme s'avère déroutante. J'imagine qu'elle doit l'être un peu moins pour ceux qui connaissaient déjà Mertvecgorod, ce petit pays fictif situé au niveau de la Russie et de l'Ukraine, déjà présenté dans Images de la fin du monde.

Ce qui n'était donc pas mon cas. J'ai plissé les yeux et froncé les sourcils une bonne partie du bouquin, à me demander dans quoi il m'embarque, monsieur Siébert.

Il m'a embarquée dans un monde dégueulasse, pourri jusqu'à la moelle, qui n'est pas sans rappeler Dantec, comme indiqué sur le quatrième de couverture. Oui, on sent, du début à la fin, La Sirène rouge, Les Racines du Mal, Babylon babies, voire Les Résidents, comme références. Ça tombe bien, j'ai adoré ce parano de Dantec (comme auteur, beaucoup moins pour son positionnement philosophico-politique), dans ses premières œuvres. Beaucoup moins après Babylon babies.

Sans spoiler, j'ai beaucoup aimé le passage avec la pierre noire, qui m'a bien chatouillé l'imaginaire.

Pour peu qu'on aime bien le sadisme, la corruption, la crasse, on devrait s'y retrouver. À condition, cependant, de ne pas se montrer rebuté par les puzzles.

Parce que le livre est présenté, un peu, comme un dossier pénal. Le sieur Siébert ne prend pas son lecteur pour un con. Il le submerge donc d'informations où la fiction et la réalité peuvent se mêler. Il faut s'accrocher et réfléchir, partir du détail pour ensuite prendre du recul, dans le temps et dans l'espace. Comment ce pays en est arrivé à cette situation dramatique? Pourquoi ces femmes sont-elles mortes? Pour qui?

C'est dense, c'est touffu, c'est riche.

Je n'imagine pas le temps qu'il aura fallu pour construire cet univers, avec une telle précision.

J'ai donc la ferme intention de retourner à Mertvecgorod, d'ici assez peu de temps, pour voir jusqu'à quel point l'esprit humain peut sombrer.

dimanche 4 juin 2023

Critique: Gokan, de Diniz Galhos





Je connaissais Diniz par ses traductions de mes bouquins préférés. Il faut dire qu'il a un nom qui sort de mon ordinaire, et qui se retient plutôt pas mal. Le hasard a amené nos chemins virtuels à se croiser, il y a peu, et j'ai découvert un type avec des valeurs qui me plaisent bien et des goûts littéraires qui collent avec les miens.

De mon point de vue, ça suffit déjà à justifier l'achat de ses romans.

J'ai donc essayé Gokan, au Cherche-midi, (il me pardonnera pour les accents, j'espère, je ne sais pas où Linux me les a foutus (et j'ai un peu la flemme de chercher)), qui est malheureusement trop difficile à trouver. Raison pour laquelle je me retrouve avec un livre d'occasion, dans un état correct.

Dès les premières pages, je me suis dit "mais il est bon, ce con!". On s'habitue un peu trop à ce que les mecs talentueux soient des pourritures, alors, forcément, ça peut surprendre. Et, peut-être par jalousie, j'ai cherché des défauts. Alors, ma deuxième réflexion, ça a été de me dire "Ok, Diniz, ça va, on a compris que tu connais le Japon mieux qu'un Japonnais. Et la ramène pas trop non plus niveau musique, hein?"

Sauf que j'ai dû me rendre très vite à l'évidence que c'était de la mauvaise foi de ma part. C'est bien dosé, ça se passe au Japon et il nous y plonge avec maîtrise. C'est ça, qui me frappe le plus: le style. C'est rythmé, c'est riche mais pas "m'as tu vu". De temps en temps, il te met une petite claque pour te réveiller. La figure de style, la punchline qui va bien...

Ok, tu maîtrises le kung-fu, maintenant, montre-moi ce que tu as dans le ventre.

Diniz nous raconte une histoire simple, une histoire de yakuzas, avec une valise pleine de billets, un américain bien dégueulasse, une jeune femme qu'il ne faut définitivement pas emmerder, des flingues, des armes par destination et quelques pauvres types qui se demandent ce qu'ils font dans ce merdier.

C'est du Tarantino version roman. C'est indiqué sur la couverture, c'est rappelé dans le récit, c'est totalement revendiqué.

Il ne faut donc pas chercher des grands sentiments, de la philosophie, une morale bouleversante... Non, c'est du divertissement, c'est du défoulement, c'est un assemblage d'éléments disparates de la culture pop. 

C'est de la série B, mais écrite comme si c'était de la "grande littérature", c'est de la vulgarité écrite avec talent. C'est aussi un exercice de style: comment transposer du cinéma en mots et juste en mots.

Diniz nous présente des personnages caricaturaux, comme l'Américain, qu'il réussit à rendre crédibles, vivants. Ils ont tous une histoire, même les plus insignifiants, une personnalité et je me suis demandé tout au long du roman "mais où il veut en venir? C'est quoi le rapport entre tous ces gens qu'il nous dépeint avec finesse?".

Je ne vais pas spoiler, mais ça me rappelle un peu quand j'étais gosse, que j'inventais des histoires avec mes jouets, que je leur donnais une personnalité, pendant des heures et à la fin... bam bam bam!

Voilà, il n'y a pas d'autre prétention, c'est conçu pour être jouissif. Et ça l'est.

Une fois terminé, je me suis donc posé une autre question: pourquoi il n'est pas plus connu, ce bouquin, mais aussi son auteur? Pourquoi je ne le découvre que maintenant?