jeudi 19 mars 2020

Journal de confinement

Dimanche 15 mars, je me suis retrouvée dans une salle des fêtes, avec plusieurs dizaines de personnes, pour la proclamation des résultats du premier tour des municipales. Dès mon entrée, j'ai ressenti un vague malaise: qu'est-ce que je faisais là? Qu'est-ce qu'ON faisait là? Je suis restée de longues minutes, seule et à distance des autres, à observer, hébétée, les flacons de gel hydro-alcoolique sur les tables, une dame déambuler avec un masque sur le visage, une autre distribuer des bières à ceux qui avaient participé au dépouillement et tous ces gens, qui ne se serraient pas la main, mais qui discutaient tranquillement, à bout portant. Absurde! Je n'avais pas percuté, à ce moment, que les listes qui avaient fait plus de 50% devraient réunir tous les élus sous huit jours pour procéder à l'installation des conseils. Absurde!

Lundi 16 mars, j'ai regardé l'allocution du Président de la République. D'habitude, je les fuis. Je me contente des résumés et des commentaires. Là, je savais, comme nous tous, qu'elle serait historique et très lourde de conséquences. "Nous sommes en guerre", a-t-il répété, tout en nous expliquant qu'on allait devoir rester confinés chez nous, sortir le moins possible, pour au moins deux semaines. Deux semaines? Qui peut croire que cela suffira pour éradiquer le virus? On nous explique qu'il n'y aura pas de vaccin avant un an, un an et demi. Alors quoi? On freine sa progression et on recommence? L'idée, ce n'est pas de l'éradiquer, mais de le faire durer: ralentir sa progression pour que les hôpitaux puissent gérer l'afflux de malades. Étaler la contamination sur le long terme. Au final, on aura une chance sur deux, environ, de l'attraper, ce virus. Ensuite, on sera ou mort ou immunisé. Sauf miracle: remède qui survient ou disparition du virus pour des raisons qu'on n'aurait pas prévues. Charmante perspective. Je suis toujours sidérée. Je n'arrive pas à croire à ce qui nous arrive. Je ne mesure pas les conséquences. Le moment est effectivement historique. J'ai peur. Surtout pour mes parents. Les chances de survie de ma mère si elle l'attrape sont quasiment nulles. Celles de mon père assez faibles.

Mardi 17 mars, j'ai la confirmation que je peux, légalement, travailler, mais que je n'ai plus rien à faire, si ce n'est expédier les affaires courantes. Quelques heures à taper sur mon ordinateur, quelques coups de fil et c'est terminé. J'ai l'autorisation de travailler, mais pas de travail. Le gouvernement indique qu'il y aura des aides, mais je doute d'y être éligible. Dans le même temps, ma chaudière tombe en panne. Bien sûr, il fallait que je parte avec un handicap supplémentaire. Le soir, je vais au drive pour remplir mon frigo: leurs lecteurs de cartes ne fonctionnent plus. "Vous pouvez payer en chèques? En espèces avec le compte juste? Non? Alors, il faudra revenir demain". Ça me fait rire. Je repense aux années 99-2000, quand je vivais dans une ruine, sans chauffage, sans eau chaude, avec des fenêtres brisées, de la saleté partout, de l'humidité, des bestioles et pas de thunes. Je repense à ce pote qui m'a souvent répété qu'en cas de guerre, je ne survivrais pas longtemps. On y est, et ça me fait rire. Je multiplie les vannes sur les réseaux sociaux pour faire sourire mes amis confinés.

Mercredi 18 mars, toujours pas de chaudière, mais j'ai pu remplir mon frigo. En partie. Plusieurs références ne sont plus disponibles. Il va falloir que je change mes habitudes. Les employés du drive nous amènent les chariots, nous demandent de récupérer les produits et de leur ramener l'engin une fois vide. Dans les rues règne une ambiance apocalyptique. Le silence est ce qu'il y a de plus frappant. Le vide. Le néant. Sur la route se trouvait un panneau pour nous annoncer que la qualité de l'air était bonne. Il faisait un temps à se promener, à "profiter". Sur le parking du Mac do, fermé, un camp de gens du voyage s'est installé. Je me demande comment ça se passe pour eux, le confinement. Et aussi pour les SDF, oubliés par le Président de la République. Comme d'hab.
Ma soeur s'inquiète pour ma situation financière. Je la rassure: j'ai des réserves et jusqu'à fin avril, je ne devrais même pas avoir à taper dedans, si je continue à me serrer la ceinture. De toute façon, que faire d'autre? Je commence à mesurer les conséquences à mon échelle. Quelques mois auparavant, j'envisageais de quitter ce boulot anxiogène au plus haut point, mais je me disais que c'était impossible en l'état. Depuis huit ans que je l'exerce, je n'ai jamais pris de vacances, parce que j'avais peur de me retrouver dans la merde, tant il paye peu. Bien sûr, j'ai réussi à constituer des réserves, mais je les destinais à autre chose: remplacer ma voiture quand elle sera HS, et/ou ma transition, bien sûr. Et là, je n'ai plus d'autre choix. Conséquence: mon cerveau respire, ma phobie sociale s'atténue, d'autant qu'elle n'a plus vraiment de sens vu que tout le monde doit s'éviter. Je me suis remise à mon roman. J'aurai très largement le temps de le finir, même si le confinement ne dure que quinze jours. J'envisage aussi de me remettre à mon blog d'aide aux écrivains, de le remettre en route, corriger tous les liens devenus foireux. En réalité, cette situation m'exalte. Je culpabilise de le dire, parce qu'elle est tragique et que dans les mois qui viennent, je vais certainement pleurer à chaudes larmes la perte d'êtres chers, mais je me demande si ce n'est pas ce qui pouvait m'arriver de mieux à titre purement individuel. C'est dire à quel point, elle était moisie, ma vie. La maladie m'angoisse, mais le confinement m'arrange. Je vais pouvoir être moi-même pendant des semaines. Cerise sur le gâteau: mon orthophoniste, confinée, m'a peut-être trouvé une solution de remplacement qui me permettrait de travailler ma voix le temps que la situation revienne à la normale.

Jeudi 19 mars, j'ai longuement hésité à rappeler la secrétaire pour ma chaudière. Trois jours de suite, je craignais que ça ne devienne lourd. Après tout, eux aussi doivent composer avec le confinement, donc difficile de trouver des créneaux. Je ne me voyais pas râler. Mais la veille, elle m'avait dit de rappeler si personne ne s'était manifesté d'ici là. Alors je l'ai fait. Et dix minutes plus tard, un technicien sonnait à ma porte, avec son masque sur le nez. En deux minutes, le problème était réglé. La VMC était tombée en rade lundi pendant quelque temps, ce qui avait mis en rade la chaudière. Une simple petite manipulation et c'était réglé. Dans ce contexte, chaque petit geste semble héroïque. Je l'ai chaleureusement remercié de m'avoir trouvé un créneau, d'avoir bravé la maladie et d'avoir bidouillé le haut de ma chaudière pendant quelques secondes. Oui, faire simplement son travail est devenu héroïque. La douche qui a immédiatement suivi, je l'ai appréciée comme j'en ai rarement appréciée. Je vais désormais pouvoir me remettre à l'exercice avec mon jeu de danse. Suer sans pouvoir prendre de douche derrière, ça ne m'enchantait pas: faire chauffer de l'eau, passer un coup de gant de toilette... Bof.
J'ai hésité à me remettre sur mon bouquin, mais j'ai préféré démarrer ce journal, d'abord. Avant d'oublier. Il sera intéressant, je pense, de voir comment mon état d'esprit va évoluer dans les semaines qui viennent. Cette situation inédite va nous permettre, dans sa tragédie, de découvrir qui nous sommes en réalité. À titre individuel et en tant que société.

Vendredi 27 mars, j'ai regardé les infos, peut-être un peu plus longtemps que d'habitude, aujourd'hui. J'ai eu la pétoche. Les personnes de plus de 80 ans ne sont plus admises en réanimation. Pas assez de places pour trop peu de chances de survie. Ceux qui sont sévèrement touchés restent plusieurs semaines intubés et la rééducation peut prendre des mois. Nous n'avons pas encore atteint le fameux pic, ce qui signifie que la situation va rester critique pendant encore plusieurs semaines, malgré le confinement. Et celui-ci va donc durer au moins jusqu'en mai.
J'ai pu réparer mon blog, qui cartonnait il y a 5 ans, avant que je ne doive changer son nom, ce qui a foutu en l'air les nombreux et indispensables liens qui permettaient d'y naviguer. Il va falloir du temps avant qu'il ne remonte la pente, d'autant que je me vois pas m'investir comme je le faisais par le passé. Je verrai comment les choses évoluent, si la demande redevient forte et si je peux en tirer un bénéfice, il est probable que je m'y remette. Idem si mes autres priorités me laissent du temps lors de ce confinement.
Ces derniers jours, j'ai aussi pu me remettre à mon roman, et commencer à réfléchir aux deux prochains. Normalement, il devrait être totalement fini, mis en forme et même envoyé aux éditeurs.
Le confinement est donc une bénédiction pour moi. Ma seule inquiétude vient de l'approvisionnement en bouffe. C'est l'avantage de mon vécu, de mon hypervigilance, de ma phobie sociale: je suis assez inadaptée aux situations "normales", et totalement adaptée à la solitude. Qui est en plus particulièrement propice à ma créativité.
Par contre, pour ce qui est de cette foutue pandémie, c'est tout autre chose. Si jamais un de mes proches chope cette saloperie de virus, je vais vite devenir une rate en cage. Il n'y aura plus de créativité.

Mercredi 8 avril, hier j'ai passé quatre heures au téléphone avec deux personnes différentes. Je crois que c'est mon record absolu. Même avec mes ex, je ne restais jamais si longtemps au téléphone. Elles avaient besoin de parler, en ces jours étranges. Elles estiment que je suis une personne de confiance et elles avaient besoin d'exprimer leur souffrance, même si nos rapports sont avant tout voire exclusivement professionnels. Perturbant et tellement révélateur. Je n'éprouve pas ce besoin, même si je sens la trouille me gagner. Tous les soirs, je regarde les statistiques, dans l'espoir d'y trouver un mieux. Et la situation reste critique. Restez chez vous.
Une amie a chopé cette merde. C'est son médecin qui le dit. Quand elle m'a énoncé ses symptômes, je me suis demandé si je n'étais pas malade, moi aussi. J'ai une légère difficulté à respirer, depuis jeudi. Ca m'arrive assez souvent, mais d'habitude, ça passe plus vite. J'ai aussi des rougeurs étranges sur un orteil. Certains dermatos disent que c'est un symptôme. Cette saloperie ressemble à tout et à rien. On peut sans problème la confondre avec rien, une grippe, un rhume, une crise d'asthme, une crise d'angoisse, une bronchite... Combien de personnes somatisent, persuadées de l'avoir chopée? Magnifique machine de mort, invisible et juste assez meurtrière pour n'avoir pas été prise assez au sérieux à temps.
La situation reste critique. Le cap des 10 000 morts est dépassé depuis quelques jours. Toujours aucun remède. Il peut falloir jusqu'à 18 mois pour élaborer un vaccin. Et d'ici là? Pour atteindre l'immunité collective, en douceur, en confinant pour éviter que les hôpitaux soient surchargés, on peut dépasser les 100 000 morts, rien qu'en France, sans compter les suicides, meurtres et l'économie en rade. Et si d'ici au vaccin, il mute, rendant ce dernier inopérant? Et si avoir été infecté une fois ne garantissait pas d'être immunisé? On n'en sait rien. Il peut aussi disparaître tout seul, pour X raison.
Je pense toujours avec des suées à mes parents, fragiles. Je pourrais très bien me retrouver orpheline dans quelques jours, dans quelques semaines, dans quelques mois... Il suffit de quoi? D'un postillon?
Lundi, on m'a proposé de reprendre le boulot, au tribunal. J'ai hésité avant de décliner, pour le moment. Oui, c'est historique, voir la justice travailler dans des conditions apocalyptiques, c'est effrayant. Mais j'ai estimé que c'est trop dangereux pour le moment. Le nombre probable de contaminés est trop élevé. Des avocats, des magistrats, des policiers sont actuellement malades. J'ai besoin d'argent, mais je ne suis pas assez payée pour prendre un tel risque. Je vais attendre que mes poumons fonctionnent normalement, que les hôpitaux se déchargent un peu. Pas avant la semaine prochaine, plus probablement celle d'après.
Mais globalement, j'ai plutôt le moral.

Dimanche 19 avril, hier je devais faire des courses. Sauf que la batterie de ma bagnole est tombée en rade. Je savais que ça finirait par arriver. Déjà, en temps normal, je roule juste assez pour la recharger, là, en l'utilisant 30 minutes tous les 10 jours, sur une dizaine de kilomètres, en ville, c'était forcé. Là, au volant, je me suis demandée ce que j'étais censée faire? Demander à un voisin de me dépanner avec des câbles? Je ne connais personne. Et ça n'aurait réglé le problème que très momentanément: je n'ai pas le droit de rouler pour recharger ma batterie! Donc, j'aurais pu faire mes courses et la fois d'après... rebelote. Appeler un garagiste? Ca risquait de me coûter bonbon, d'autant que je n'ai pas l'assistance 0 km. Et en plus, il aurait probablement relancé la batterie, sans la recharger... J'ai donc appelé mon père. Le vieux réflexe. Et ça m'a mise en stress. Est-ce qu'il ne risque pas d'attraper cette saloperie de virus en me rendant service? Est-ce qu'on a le droit de venir aider un proche à recharger sa batterie sans se prendre un pv à 135 euros? Il s'est fait contrôler. Il a dit qu'il allait me faire des courses parce que j'étais malade, d'autre chose que du corona. C'est passé... A son arrivée, avec mes courses qu'il avait récupérée au passage, au drive, je lui ai proposé de se laver les mains. "Ben non. Pour quoi faire?". Ha? OK...
Peut-être parce que tu es un sexagénaire diabétique qui vit avec son épouse qui souffre de BPCO particulièrement aiguë, papa... Et que tu as été en contact avec un employé libre service qui côtoie pas mal de monde. Si d'ici 3 semaines, ils tombent malades, là-bas, je vais y repenser.
Le pire, c'est qu'il va devoir revenir. On n'avait pas la bonne clé pour démonter la batterie.
D'ailleurs, petit détail cocasse. Il y a un an, un an et demi, un voisin avait fait connaissance avec moi. Il m'avait taillé la bavette pendant 5 min, sympa. Ensuite: plus rien. Non seulement il ne répondait plus à mes "bonjour", mais il me regardait de travers. Et là, en voyant que j'étais en panne, il m'a reparlé, toujours sympa. Alors que pour la première fois en un an et demi, je m'étais abstenue de lui dire "bonjour", en mode "ok, c'est bon, il me répond jamais. Il veut pas avoir de contact avec moi: soit!". Et il a même proposé de m'aider. Malheureusement, il avait disparu quand on s'est rendu compte qu'on n'avait pas la bonne clé. Jours étranges, gens étranges.
Une fois seule, face au miroir de l'ascenseur, je me suis dit que ça allait commencer à devenir compliqué de me faire passer pour un mec. Mais pour le moment, ça ne semble poser de problème à personne. Cool.
Sinon, je n'ai toujours pas repris le boulot. Je me contente de petits articles, un, deux, trois par semaine. Pas de quoi me faire gagner un RSA. J'ai proposé de retourner au tribunal, mais je n'ai eu aucune réponse. Peut-être n'est-ce finalement pas possible, ou pas souhaitable. Il faudra que je me renseigne, la semaine prochaine.
Mon histoire est terminée. J'ai un prologue, un épilogue et un gros pavé entre les deux. Maintenant, il va falloir que je me relise, que je tisse quelques fils entre le début, le milieu et la fin pour que tout soit parfaitement cohérent, que je travaille un peu le style, la forme, les fautes... Et ensuite, il va me falloir au moins un oeil extérieur. Le gros est fait, maintenant, reste à voir si la recette fonctionne...

Samedi 2 mai. On a indirectement incendié ma voiture, mardi soir. Je regardais The walking dead dans mon canapé, à me dire qu'il commençait à se faire l'heure d'aller me coucher. J'étais crevée, pas très bien. Et j'ai entendu un klaxon plus qu'insistant. Après avoir ouvert ma fenêtre, j'ai vu la voiture juste à côté de la mienne en proie à des flammes de trois mètres. La mienne ne brûlait pas encore. Panique. J'ai appelé les pompiers, qui étaient déjà au courant. Il fallait que je descende, que j'essaie de sauver ma voiture. J'étais dans un état second. J'ai enfilé un pantalon, un blouson, ma casquette et je suis descendue. Des voisines m'emmerdent "c'est votre voiture qui brûle?", j'essaie de répondre poliment mais ça m'agace. Deux jeunes entrent dans l'immeuble alors que tout le monde sort, ils me regardent bizarre. Je me précipite, mais sans courir. Je suis toujours dans l'idée folle de sauver mon véhicule. A quelques mètres de l'incendie, un phare explose, des gens me crient de faire attention: je me réveille. Je comprends. Je réalise. Il est trop tard. Ma voiture est morte. Je ne peux plus rien faire. J'ai envie de pleurer. Je n'ai pas d'autre choix que de rester à bonne distance et de regarder cet outil coûteux et essentiel cramer. Et d'attendre. C'est là que je percute: je suis maquillée. Tout le monde m'appelle monsieur. Je me mets de la salive sur les doigts et j'essaie de l'effacer. Grave erreur: je ne peux pas le voir mais j'ai sacrément étalé tout ce noir. On dirait que je porte un masque, comme un raton laveur. Je me précipite chez moi pour enlever tout ça. Les regards sont lourds. Comme si j'avais besoin de ça. Les questions continuent "alors? votre voiture?" Je hausse les épaules. Je reviens, les yeux présentables. J'ai toujours envie de pleurer. Les pompiers sont déjà là, ils traitent ma voiture comme une épave, arrachent le coffre, l'arrosent copieusement. Le quartier est déconfiné: tout le monde est dehors, en cercle autour du désastre. Des voisines viennent me parler, avec des paroles qui se veulent réconfortantes. Je ne les écoute qu'à moitié. J'ai pas envie de parler. Je me présente aux pompiers qui prennent mes coordonnées. La police finit par arriver. Idem. Ils compatissent. Je demande à essayer de récupérer quelques affaires: il faut attendre le photographe. Attendre, encore. Je n'ai qu'une envie, c'est de me sortir de ce cauchemar. Je vois la propriétaire de l'autre véhicule, celui qui a contaminé le mien par l'incendie, avec sa famille. "Ce n'est que du matériel". Phrase bateau. Indiscutable et merdique. C'est pas une vieille chaise cassée par l'usure. Une voiture, c'est beaucoup plus que ça. C'est primordial. Sans ça, pas de boulot, plus de lien physique avec ma famille, mes amis. C'est des souvenirs, bons, mauvais. C'est un compagnon de route. C'est la galère: plainte, assurance, remplacement... Tout ça en plein confinement.
J'ai récupéré mes CD, sauf Smells like teen spirit qui a eu le malheur de rester dans l'autoradio. Il m'avait été offert par ma soeur, à Noël. J'espère que les autres fonctionneront toujours, mais ils puent le cramé, malgré le savon sur les pochettes. J'ai récupéré des raclettes pour virer le givre, du liquide de refroidissement... Mes lunettes. Voilà tout ce qu'il me reste de ma 206. Et une épave sous mon nez depuis mardi. J'attends d'être contactée par l'expert pour la faire retirer. Là, je pourrai, peut-être, commencer à envisager de passer à autre chose.
La nuit de mardi à mercredi a été à la fois courte, en sommeil, et très longue. J'ai cauchemardé de l'incendie. Sur FB, j'avais mis des photos du désastre, pour prévenir ma famille, mes amis, le boulot... Le lendemain, les appels, les messages, les commentaires se multiplient. Moi, je suis assommée. Mon père vient avec ma soeur pour me prêter sa voiture. Un souci en moins, sauf que j'ai peur qu'elle se fasse incendier, elle aussi. Une vraie peur. Je ne sais pas où la garer. Je considérais que l'endroit où j'avais mis la mienne devait être le plus sécurisé du quartier: quatre barres d'immeubles pointaient leurs fenêtres vers elle. Et non, il n'y a pas d'endroit sûr, ici. Même si je ne connais personne, même si je n'ai de problème avec personne, mon véhicule peut se faire incendier. Et là tout le quartier m'a vue maquillée, et m'a appelée "monsieur".
Je suis secouée, sur les nerfs, assommée. J'avais un petit boulot à faire cette semaine. Pas fait. J'avais très largement le temps, mais non, mon cerveau n'en avait strictement rien à carrer. Procrastination. Tant pis, c'était ni urgent ni primordial. Je le ferai la semaine prochaine. La semaine prochaine, je vais me vider le cerveau. En finir avec la plainte, avec l'expert, le retrait du véhicule, l'assurance, les impôts, les rendez-vous médicaux que je décale depuis des semaines, Free et SFR qui me doivent de l'argent... Il faut que je me remette en selle et que je vire tous ces détails angoissants. Sinon je vais être submergée. Je le sais.
C'est la première fois aujourd'hui que je me remaquille depuis mardi. Je savais déjà que je ne pouvais pas sortir de chez moi comme ça. J'en ai eu la très désagréable confirmation. Néanmoins, cette pause m'a permis de comprendre que si j'ai des problèmes respiratoires depuis des semaines, c'est à cause du maquillage, sans doute la BB crème. Je m'en passerai, à l'avenir, y compris chez moi.
Je repartais sur une bonne dynamique, avec la reprise du boulot et... C'est dur de vivre ça, surtout dans cette période où nous sommes fragilisés. A un moment, il faudra aussi que je remplace ma voiture. Mon père compte m'y aider. J'aviserai en temps utile. Ca m'emmerde d'avoir toute cette aide de mes parents, alors que je leur cache, en partie, ma transidentité.